Je secoue la tête, pas vraiment convaincue de vouloir dire non, mais pas encore convaincue non plus de vouloir dire oui. « Ça t’éviterait de venir squatter ici ou chez tes parents quand tu viens. Pas que ça me dérange, mais tu pourrais avoir envie d’intimité … » « Eddie… » Il penche la tête sur le côté avec un sourire mutin au coin des lèvres. « Peut-être que ça te ferait revenir plus souvent aussi. » Un soupire s’extirpe de mon nez, juste pour lui faire comprendre que pour le moment, ma décision d’investir dans l’immobilier ici à San Diego n’est pas encore prise. Je sais que ce serait plus simple pour tout un tas de raisons, et que mon dernier boulot m’a rapporté assez pour acheter un appartement dans le coin, je ne suis toujours pas certaine que ce soit une bonne idée. Evidemment, j’imagine que Riley pousserait dans le même sens qu’Edward si elle entendait cette conversation, mais elle n’est pas là.

Je sens qu’Ezra trépigne à l’intérieur depuis une bonne heure, et je finis par proposer : « Bon, on va faire deux courses pour le goûter, et ensuite on ira un peu se défouler au parc, qu’est-ce que t’en dis ? » Notre fille saute de joie, mais mon ex botte en touche. Du boulot à rattraper, tant pis pour lui. Moi je suis en vacances, et je compte bien en profiter. Maddox ne vient pas non plus, pas grave, ce sera juste Ez’ et moi.

Pendant que je suis en train de décortiquer les ingrédients d’un gâteau soit disant fait maison, je sens la main de ma fille qui me tire le bras. « Une seconde chérie, je… » « Mais maman ! Y’a Jules ! » Je m’immobilise instantanément une fois le prénom de la personne concernée dans ma tête, et ce sont des images de la rouquine qui me viennent sans la seconde. Ce ne serait pas déconnant puisque jusqu’à preuve du contraire, elle vit à San Diego avec son cher époux. Le coeur à mille à l’heure je me retourne, doucement, comme si elle allait pouvoir se volatiliser. Et je vois sa silhouette de dos, ses cheveux roux remontés dans un chignon assez désordonné pour que j’ai un doute. Elle pousse une poussette avec un bambin à l’intérieur, ce qui me fait secouer la tête. « Non mon coeur, elle lui ressemble seulement. » dis-je à voix basse, pas vraiment convaincue. De mémoire, elle n’a personne dans son entourage qui a un enfant de cet âge - bien qu’il se soit passé des choses en deux ans - et je ne l’imagine pas vraiment faire du baby sitting. « Je suis sûre que c’est elle ! JUUULES ! » crie-t-elle, assurée. Je serre les dents et dans un coin de ma tête, j’espère que ce n’est pas elle et qu’elle ne va pas se retourner. Mais elle se retourne, et je manque de m’effondrer, juste en voyant les traits de son visage. Ezra lâche ma main, même si j’avais voulu la retenir, j’en aurai été bien incapable. Elle se précipite vers la rouquine et fond dans ses bras, comme si elles avaient toujours été proches, et moi, je me contente de déglutir, et lever mollement le bras pour la saluer. Allez, un peu de courage ma vieille ! Je finis par réduire les quelques mètres qui nous séparaient, et me racle la gorge avant de lui dire un simple « Bonjour… » dans un fin sourire un peu gêné. « Ezra t’a vue de loin…! »

@Robyn Anderson

« JUUULES ! » Tu es surprise d’entendre ton nom retentir ainsi dans le magasin. Tout d’abord parce que ce niveau d’enthousiasme, associé à ton prénom, est rarement égalé. Et puis aussi, et probablement surtout, parce que la voix qui s’écrit et s’élève au dessus du brouhaha ambiant est beaucoup plus jeune que la moyenne de tes fréquentations. Elle est même franchement enfantine. Sauf que le seul enfant de ton entourage, c’est le tien, elle est dans sa poussette juste devant toi, mâchouillant un jouet de dentition garanti sans bisphénol A, et Jules ne fait pas partie de son vocabulaire réduit. Tu te retournes alors, et as à peine le temps de t’interroger sur l’identité de ton admiratrice secrète qu’elle s’écrase lourdement contre tes jambes. « Oh, petit chat,  » tu poses un genou à terre pour te mettre à la même hauteur qu’Ezra, et murmures dans son oreille « tu as tellement grandi ! »

Ton corps et ton coeur ont été bien plus rapides que ton cerveau qui commence seulement à additionner 1 et 1. Tu remets les images dans le bon ordre, les associes aux sensations correspondantes et sens enfin la panique te monter aux joues. Tu te dis que si la fillette est dans les parages, sa mère l’est probablement également. Tu ne l’as pas vue depuis plusieurs années et tu sais déjà que tes entrailles risquent de faire des bonds. « Bonjour… »

Prophétie auto-réalisatrice, la silhouette de Robyn se matérialise devant toi et te salue. Sur ses traits fins, on lit une gène comparable à la tienne. L’air se charge de non-dits, de manque et de ressentîmes tus à jamais, remués par le prosaïsme d’une rencontre fortuite. « Ezra t’a vue de loin…! » Tu esquisses un sourire plus poli qu’amusé, et réalises par la même occasion que tous les signaux indiquent que c’est à toi de parler. « Elle est vraiment adorable. » Ton regard se pose à nouveau sur le visage de la petite, observant avec attention les changements opérés par le temps. « Autant que dans mes souvenirs.  »

Tu laisses le silence - relatif - retomber autour de vous, incapable de t’extirper des platitudes dans lesquelles vous êtes embourbées. Face à la montagne, tu préfères t’engager dans la traversée d’une vallée à reculons. Seulement, que dire face à l’immensité ?

Ton index gauche s’entortille autour d’une mèche rebelle qui chatouille ton front avant de la replacer derrière ton oreille. Par la même occasion, il met en évidence l’absence criante de l’alliance qui a creusé ton annulaire pendant des années sans que tu te rendes comptes de la magnitude de ton geste. Après une grande inspiration, tu te décides finalement à poser une question. La première. A mi-chemin entre courtoisie et confidences. « Vous êtes de retour à San Diego ? »

Je n’avais pas du tout prévu de revoir Jules, encore moins aujourd’hui. Evidemment, je me doutais bien qu’elle vivait toujours à San Diego, et revenir ici même pour les vacances, ça comportait des risques. Mais depuis mon départ à Los Angeles, les fois où je suis venue ici, je ne l’ai pas croisée au détour d’une allée de supermarché, comme aujourd’hui. Tout mon corps s’affole, mon coeur bat à tout rompre dans ma poitrine, et je ne peux résolument pas récupérer ma fille et m’en aller comme une voleuse. Surtout que cette dernière ne semble pas vouloir lâcher la rouquine.

Je ne sais même pas comment me comporter, tout est allé si vite, l’opportunité de pouvoir travailler à Hollywood, alors que notre relation cachée ne menait nulle part. Sentant bien qu’elle ne me retiendrait pas, j’ai fait le choix de partir en la laissant derrière moi. Aujourd’hui, j’ignore qui elle est, ce qu’elle vit ou a vécu, et je n’imagine pas une centième de ce que la vie a pu lui faire endurer depuis la dernière fois que nous nous sommes vues. Une fois que son regard a rencontré le mien, je sens mes jambes devenir incertaines, mais tente tout de même d’engager la conversation, du mieux que je peux. « Elle est vraiment adorable. » répond-elle, la voix rocailleuse. « Autant que dans mes souvenirs.  » Je ne pensais pas qu’entendre sa voix à nouveau me ferait ce genre d’effet. Un long frisson me parcourt l’échine, et nous restons là silencieuses un instant. Ce même instant que ma fille a utilisé pour aller découvrir l’enfant qui babille dans la poussette que poussait Jules.

« Vous êtes de retour à San Diego ? » demande-t-elle finalement, pour briser le silence. Mon regard rejoint le sien, rompant les interrogations qui me venaient concernant cette enfant. « Je… » retrouve tes esprits, Rob’. « Non, enfin peut-être. » Rien ne va. J’éclaircis ma voix, comme si ce petit raclement de gorge arrivait à éclaircir aussi mes pensées et sentiments. « Je suis en vacances, j’ai accompagné les enfants chez leur père et je reste un peu, pour profiter de ma famille. » Factuelle. Voilà ce qu’il fallait. Pas de débordements d’émotions, même si c’est difficile quand ça la concerne. « Tu fais du baby sitting ? » dis-je dans un sourire à l’attention de la petite bouille ronde qui échange déjà ses jouets avec ma fille. Mais avant même qu’une réponse ne soit donnée - peut-être la peur d’une réponse qui me ferait comprendre que beaucoup de choses ont changé - je choisis de prendre les devants. « On comptait aller un peu au parc, après nos quelques courses. Si vous voulez vous joindre à nous… » Je ne sais pas ce qui me passe par la tête, j’aurai mieux fait de me taire, surtout que maintenant, Ezra ne va pas me lâcher. « Oh oui !! Venez avec nous ! » Evidemment…

@Robyn Anderson

« Je… » Aussi éloquente que toi. Si la situation ne te dépassait pas autant, ça t’amuserait probablement. Mais là, tout de suite, ça te passe complètement au dessus de la tête, et tu ne remarques rien. « Non, enfin peut-être. » Ton coeur joue à l’ascenseur émotionnel. Un coup déception intense. Un coup espoir brûlant. Et toi, au milieu, tu te dis que l’un comme l’autre sont déplacés. Tu aimerais, au fond, pouvoir dire avec sérénité que revoir Robyn te laisse de marbre, ou du moins qu’elle ne réveille pas en toi des sentiments endormis. Raté. « Je suis en vacances, j’ai accompagné les enfants chez leur père et je reste un peu, pour profiter de ma famille. » Tu hoches la tête sobrement, pour toute réaction. Ce n’est pas tout à fait ce que tu aurais voulu entendre, mais tu comprends malgré tout entre les lignes que la porte n’est pas totalement fermée.

« Tu fais du baby sitting ? » Tu ouvres la bouche pour répondre mais la referme aussitôt, incapable de rassembler des idées suffisamment cohérentes pour former une phrase. Par quel bout prendre l’histoire ? Par où commencer ? Que dire, que laisser dans l’oubli ? Tu pourrais débuter par le plus évident. Non, tu ne fais pas de baby sitting. La petite tête blonde est tienne. Mais rapidement, tu es délivrée de tes délibérations internes. « On comptait aller un peu au parc, après nos quelques courses. Si vous voulez vous joindre à nous… » Une question triviale, qui amène une réponse triviale - quoique, pas tant que ça, tu peux gérer. Tu devrais dire non. Dans la logique des choses, c’est la meilleure des options. Refuser, rentrer chez toi, et faire comme si cet échange n’avait jamais eu lieu.
Seulement, d’une voix guillerette retentit « Oh oui !! Venez avec nous ! » et embarque avec elle ton coeur à la volée. Tu ne retiens pas le nouveau sourire qui vient fendre ton visage et caresse le sommet du crâne d’Ezra en murmurant : « D’accord, mon coeur, bien sûr. » Tu as toujours eu un faible pour la petite, ce n’est pas nouveau. A votre première rencontre elle avait déjà jeté son dévolu sur toi et t’avait faite fondre toute entière par la même occasion. Tu relèves ensuite les yeux pour attraper le regard de Robyn et répondre, cette fois-ci à son intention : « J’aimerais beaucoup. » Le sincérité du moment te rattrape et te force à baisser la tête. « Je te retrouve dans 10 minutes dans l’entrée ? J’ai encore 2-3 articles à trouver. »

Les courses expédiées, tu finis par être la première à l’extérieur. Entre temps, Ellie s’est endormie dans sa poussette, bercée par tes enjambées frénétiques au détour des rayons. Tu attends donc Robyn sur le parking, en te mordillant la lèvre inférieure pour canaliser le mélange d’impatience et d’anxiété qui t’animent. Un oeil extérieur remarquerait sans aucun doute la lumière qui éclaire ton visage lorsque tu vois les deux silhouettes s’approcher, mais tu fais comme si de rien n’était et ne dis rien en lui emboîtant le pas en direction du parc. La vérité, c’est que tu en viens, et que tu n’avais pas du tout prévu d’y retourner. Mais une proposition pareille, ça ne se refuse pas. Finalement, brisant le silence dans lequel tu te complais, tu avoues tendrement : « Ton dernier film était époustouflant. » Ce n’est évidemment pas surprenant, tu as toujours été éblouie par son talent. Mais cette fois ci, tu en es sûre, l’Academy le reconnaîtra.

Son hochement de tête m’offre une réponse non verbale. Qu’aurait-elle à répondre de toute façon ? C’est à mon tour de me montrer curieuse, mais bien vite je me rends compte que la question n’est sans doute pas appropriée, ou peut-être que j’ai peur de la réponse. Je suis certaine qu’il a dû se passer beaucoup de choses dans sa vie depuis la dernière fois que nous nous sommes vues, et je ne suis pas certain d’être prête à tout apprendre. Alors à la place de laisser s’installer un moment de latence désagréable, je choisis de lui proposer de nous accompagner au parc. Ezra appuie ma proposition, et je sais d’expérience qu’il est très difficile de lui résister quelque chose. Immédiatement, un sourire étire les lèvres fines de mon ancienne amante, et en fait naître un sur les miennes. « D’accord, mon coeur, bien sûr. » dit-elle à l’attention de ma fille, avant d’appuyer sa réponse, cette fois à mon attention. « Je te retrouve dans 10 minutes dans l’entrée ? J’ai encore 2-3 articles à trouver. » Ezra hoche vivement la tête, rend sa peluche au bébé, et nous pouvons repartir de notre côté, la main de ma fille dans la mienne. Mon coeur n’a pas freiné sa course, je le sens encore tambouriner, prêt à prendre une nouvelle envolée. J’en ai perdu la raison de notre présence ici. Ah. Oui. Un goûter.

Après avoir laissé ma fille choisir quelque chose de très peu diététique - je n’ai pas du tout le courage de la contredire et à vrai dire j’ai bien les idées ailleurs - nous nous retrouvons à l’extérieur pour attendre Juliet. Je crois qu’Ezra est tout aussi excitée que moi, même si j’arrive plus facilement à le masquer. Une fois la rouquine à notre niveau, nous prenons silencieusement le chemin du parc. L’ambiance est étrange, j’aurai envie de lui dire tellement de choses, lui demander tellement de choses, mais rien ne vient pour le moment. La peur sans doute. « Ton dernier film était époustouflant. » lâche-t-elle pour briser le silence. Mon coeur rate un battement dans sa course effrénée. « Tu l’as vu ? » Pas que je sois particulièrement étonnée, un film d’époque de ce genre, c’est tout à fait le style de Jules. Mais je ne communique sur rien en ce qui concerne mon métier, je n’ai pas de réseaux sociaux, il n’y a qu’en restant tout le long du générique pour regarder les noms des costumiers qu’elle pourrait éventuellement en savoir plus. J’ai donné quelques interviews pour ce film mais rien de bien mirobolant comparé à la dernière série Netflix sur laquelle j’ai travaillé récemment. Le tapage médiatique sera bien plus important, et je ne suis pas sûre d’en être vraiment prête d’ailleurs. « Merci… ça me fait plaisir. C’est assez hallucinant de bosser sur un projet de cette ampleur, et ça m’a ouvert beaucoup de portes. » Je souris avant de lui adresser un regard d’une intensité que nous seules pouvons connaître. De ce genre que nous échangions lorsque nous étions seules. « Comment se passe le boulot de ton côté ? Et comment va Béatrice ? » Cette fois c’est un sourire complice que je lui offre, parce que peu de monde est au courant de cette petite filiale de sa maison d’édition.

@Robyn Anderson

« Tu l’as vu ? » Tu cherches son regard avant de répondre simplement : « Bien sûr. » Ce que tu ne dis pas, c’est que tu l’as même vu deux fois au cinéma. La première comme tout un chacun, parce que la bande annonce t’avait plu et l’histoire intriguée. La seconde parce qu’après avoir vu son nom au générique, tu as ressenti une pointe de culpabilité. Une fois passée la confusion, tu as compris que c’était parce que tu jugeais ne pas avoir apprécié les costumes à leur juste valeur. Tu n’y avais pas prêté une attention particulière, ils étaient là parce qu’ils faisaient partie du film, mais tu ne t’y étais pas arrêtée. Alors tu y es retournée pour admirer avec l’oeil de celle qui comprend au moins un peu le travail colossal que ça représente. « Merci… ça me fait plaisir. C’est assez hallucinant de bosser sur un projet de cette ampleur, et ça m’a ouvert beaucoup de portes. » Voir et entendre ces bribes d’émotion réchauffe ton coeur et le fait battre un peu plus vite. Ca fait partie des nombreuses choses que tu as aimées chez Robyn, sa passion sans limite pour son métier et ses créations.

« Comment se passe le boulot de ton côté ? Et comment va Béatrice ? » Tu souris face à la question. Ca t’amuse de l’entendre parler de ta collection de littérature rose comme on demanderait après une voisine ou une copine commune, par son petit nom. « Elle va bien, très bien même. La première collection capsule a largement dépassé ses objectifs commerciaux… » Et alors que tu respires, l’air se coince dans ta gorge comme pour te signifier que tu fais fausse route. « Excuse-moi, t’es pas là pour le pitch d’ascenseur qu’on m’a fait apprendre par coeur… » Pourtant elle en serait fière, ta chargée de com’. Elle a mis si longtemps à te le faire rentrer dans la tête et surtout à te faire accepter de mettre de côté ta spontanéité au profit de quelques éléments de langage bien placés. Tu défies alors le vent en replaçant à nouveau une mèche derrière ton oreille. « La vérité c’est que le démarrage n’a pas été facile… » Tu te confies comme rarement sur ce sujet, confortée par la nostalgie des premières conversations que tu as eues avec ton ancienne amante à ce sujet. « Le lancement a dû être différé parce que ça aurait été franchement indélicat de le faire 3 semaines après la mort de Jack comme c’était initialement prévu… » La promo aurait été catastrophique. Pas besoin de redoubler d’imagination pour anticiper les titres accrocheurs de la presse à scandale. « Et après ça a été compliqué, il a fallu re-convaincre tout le monde… » Un geste de la main et tu racontes une suite qui ne fait que répéter le passé. Se battre pour une idée, encore et encore, jusqu’à ce que les arguments manquent pour te contrer. « Mais ça y est, j’ai mes autrices pour la prochaine vague. On en publiera un par mois pendant toute l’année. » Tu pourrais continuer à en parler longtemps. Mais tu ne veux pas monopoliser la conversation, alors tu t’arrêtes.

Je ne peux nier la surprise quand elle me dit avoir du mon dernier film. Enfin en tout cas le film sur lequel j’ai travaillé. Ça me touche évidemment, je suis même incapable de le cacher. Qu’elle ait pu apprécier mon travail me réchauffe le cœur, même si je n’attends rien de sa part depuis longtemps. Je me livre un minimum sur cette expérience, rien qui ne pourrait l’assommer d’un récit ennuyeux cependant. A mon tour de prendre des nouvelles de son métier, et particulièrement de son ‘bébé’, cette partie de la maison d’édition qu’elle a consacrée à la littérature un peu plus osée. Son sourire fait battre mon cœur un peu plus vite, impossible de réfréner sa course folle. « Elle va bien, très bien même. La première collection capsule a largement dépassé ses objectifs commerciaux… » Je devrais être heureuse pour elle face à sa réponse, et pourtant je sens que quelque chose cloche. Impossible de savoir si c’est une simple intuition, ou si c’est parce que je la connais encore assez bien pour savoir quand elle enrobe la vérité. « Excuse-moi, t’es pas là pour le pitch d’ascenseur qu’on m’a fait apprendre par coeur… » Nous y voilà. « La vérité c’est que le démarrage n’a pas été facile… » Mon cœur se serre un peu cette fois, je sens la pointe de déception dans sa voix et je n’ai jamais aimé ça. « Le lancement a dû être différé parce que ça aurait été franchement indélicat de le faire 3 semaines après la mort de Jack comme c’était initialement prévu… » Mon pas se ralentit légèrement, comme frappée par la nouvelle. Comment j’ai pu passer à côté de cette nouvelle ? J’ai le sentiment de manquer d’air pour tout un tas de raison. Ne pas avoir été là pour elle à ce moment de sa vie où elle en aurait eu besoin, et peut-être aussi ce sentiment de perdre quelque chose, une opportunité de pouvoir vivre avec elle ce que j’avais envie de vivre, et que son mariage empêchait. « Et après ça a été compliqué, il a fallu re-convaincre tout le monde… Mais ça y est, j’ai mes autrices pour la prochaine vague. On en publiera un par mois pendant toute l’année. » La main accrochée fermement à mon sac, je l’envie presque d’avoir la poussette sur laquelle se reposer, alors que je sens tout mon être en émoi. « Je… Je suis désolée… » Pas qu’elle ait réussi à retomber sur ses pattes concernant son boulot, non. Mon regard brumeux attire le sien, avec une intensité certaine. « Je n’étais pas au courant pour Jack… » Naturellement, je tends la main pour la poser sur son avant bras, avec plus de compassion que j’aurai pensé pouvoir en avoir vis-à-vis de cet homme qui m’a souvent barré la route jusque là. « C’était y a longtemps ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment tu vas ? » Et alors que je me rends compte de l’accumulation des questions, je rectifie le tir en vitesse. « Enfin… tu n’es pas obligée de répondre, tu n’as peut-être pas envie d’en parler. Peut-être pas avec moi. »