A few weeks ago.

Dernière livraison pour la journée. J’arrête ma moto sur le trottoir à l’adresse indiquée, la cale sur la béquille, et en descend tout en retirant mon casque. Dernière vérification sur mon téléphone, c’est bien là. Ça ferait presque un peu flipper d’ailleurs, quand on voit les drapeaux partout et les deux gardes armés à l’entrée. WTF, j’ai rien fait les gars. Je leur montre le justificatif, et passe les portiques de sécurité sans encombre. Heureusement aujourd’hui je n’avais pas de joint dans mes poches, heureux hasard, ça aurait fait désordre.
Il me faut presque dix minutes pour trouver le bureau en question, après avoir demandé à quatre personnes différentes. Je me sens comme dans la maison qui rend fou de Asterix et Obelix.« Où vous croyez-vous par Jupiter ? » que je me récite dans la tête en grimpant pour la troisième fois ce même immense escalier. J’entre dans un dernier bureau avant capitulation « J’ai le laisser passer A39 ! » je montre le papier qu’on m’a filé deux étages plus bas, et une femme se retourne pour m’adresser son regard. Holly fucking shit. Est-ce que c’est mon laisser-passer pour le paradis et on m’a rien dit ? Je me racle la gorge pour reprendre contenance et lui explique que j’ai reçu une demande pour récupérer un colis à livrer en urgence. Je n’arrive pas à rester concentrée, j’essaie pourtant de ne pas trop loucher sur tout ce qui attire mes yeux : le bout de son nez arrondi, la courbure de ses lèvres, la petite mèche qui lui tombe sur le visage, la naissance de son décolleté lorsqu’elle se penche et que l’ouverture de sa chemise me fait imaginer le reste… et ne parlons même pas de ses fesses parfaitement moulées dans sa jupe crayon, et le galbe de ses mollets à force de porter des talons. Je suis au bord du malaise. Elle revient avec le colis en question et l’adresse à laquelle je dois me rendre. Je pourrai l’allonger sur le bureau là maintenant tout de suite. D’ailleurs, c’est ce que je fais dans ma tête. C’est pas demain que je serai de retour dans le bureau du procureur, alors je me dois d’imprimer cette image dans ma rétine pour le restant de mes jours.

***

Today

« Meuf, j’ai encore rêvé d’elle… j’te jure elle m’obsède, j’ai passé une heure hier à faire des recherches j’ai rien trouvé ! » Dans mon casque, mon téléphone est connecté et je peux passer mes appels sans rien avoir à craindre. Et puis le temps passe plus vite quand j’ai quelqu’un au téléphone. Le plus souvent c’est mon frère, sinon ça peut être Tegan ou Connie. En l’occurence, il s’agit de la brunette actuellement. On se marre comme des pintades, jusqu’à la glissade. Un abruti vient de me couper la priorité, et j’allais peut-être un peu vite. Par réflexe je couche la moto pour éviter d’être projetée lors d’un potentiel impact, et me retrouve à faire une glissade de l’extrême. Il me faut quelques secondes pour émerger du tambour de la machine à laver dans lequel je me trouvais. J’ai encore mon casque sur la tête, mon cerveau est en état de fonctionner mais… Deux yeux plantés dans les miens me font douter. Je l’entends vaguement baraguiner des trucs d’une voix paniquée, elle parle à quelqu’un ? Les bruits sont étouffés dans mon casque. Je prends le temps de bouger mes membres pour vérifier que tout est bien accroché, j’ai mal partout, c’est bon signe. Je me redresse doucement et à nouveau ce visage. Putain merde, j’en rêve la nuit, et la voilà devant moi. L’apparition divine. Cette fois je suis peut-être bien morte pour de vrai ? « Est-ce qu’on est bien le 12 mai 1847 ? » Par cette phrase j’attire son attention, pour bien vérifier que c’est elle. Et c’est elle. « J’suis déjà morte ? Si c’est ça l’Enfer qu’on m’avait promis, j’aurai mieux fait de signer plus tôt ! »

Il est clair que j’ai pris un sacré coup sur la tête, mais j’étais déjà pas très bien câblée avant aujourd’hui, et puis ce n’est pas mon premier accident de moto. Pour ma défense, aucun qui ne soit de ma faute. Sauf peut-être un quand je faisais du cross en forêt, mais je suis plutôt sûre que c’était l’arbre qui avait traversé le chemin boueux. Bref, il se trouve que jusque là, tous mes accidents confondus, à aucun moment je n’avais eu ce plaisir en ouvrant les yeux. Celui d’être vivante oui, c’est déjà un bon point, mais celui de voir au-dessus de moi la nana qui hante mes nuits depuis une semaine… non. C’est comme si l’Univers m’avait entendue. Elle gesticule dans tous les sens, mais elle est encore plus belle vue d’en bas. Est-ce que c’est seulement possible ? « Okay, vous avez pris un coup sur la tête. Ne bougez pas, je vais appeler les secours. » Alors là tout de suite, y’a assez peu de chance que je bouge. Et puis à tous les coups… Je tourne la tête tête en direction de ma moto, et bien sûr elle est dans un sale état. Je ne m’attendais pas à mieux. De toute façon elle était en fin de vie, j’avais envie de m’en acheter une nouvelle. Elle doit avoir une bonne assurance… 

En appui sur mes poignets, je sens que ma cheville gauche a du mal à suivre, et ça brûle un peu partout. Mon pantalon est bien brûlé sur le côté, je pense que j’ai dû faire une belle cascade. Machinalement, je lève la tête pour regarder s’il y avait des caméras de sécurité. Pas pour prouver que je n’étais pas en tort - quoi que, j’imagine que Com me croirait sûrement mieux avec une preuve - mais plutôt pour récupérer la vidéo de ma chute et me pavaner d’être encore en vie. Je sors mon interrogation quand la jolie brunette revient à mon niveau. « Ils disent que comme vous êtes consciente et mobile, vous pouvez aller à l’hôpital sans ambulance. Et que moi, je peux vous y emmener… » Oh wow. Les secouristes c’est plus ce que c’était. Si j’étais un peu plus consciencieuse, peut-être que j’aurai pu m’orienter vers cette voie, vu qu’il y a du boulot. « Vous savez quoi ? Je connais quelqu’un dans le privé. Je vais l’appeler pour voir s’il est disponible. » Elle parle trop vite pour mon cerveau sous le choc, je comprends rien. Et puis ‘quelqu’un’ dans le privé ça veut rien dire, non ?

Je m’apprête à retirer mon casque, ça risque pas grand chose. Une fois la sangle débouclée, je tire dessus doucement. « Si y’a mon cerveau qui part avec vous pourrez le récupérer ? C’est que j’y tiens… » Il est déjà endommagé de base, j’aimerai ne pas avoir à perdre ce qu’il me reste. Je le retire finalement et mobilise ma nuque pour vérifier que tout va bien de ce côté là. C’est plutôt ma jambe qui me lance, et je vois déjà le chair et le sang alors que j’ai encore mon pantalon. J’ai jamais eu peur du sang, peur de me blesser, je suis une casse-cou née. Mais si madame est hémophobe, elle va fuir et me laisser planter là. Je lui tends la main pour qu’elle m’aide à me relever, doucement, alors qu’elle continue de passer ses coups de fil comme une femme d’affaire. C’est pas elle qui est procureur pourtant ! « Faudrait peut-être y aller, si je veux pas me vider de mon sang ? J’ai survécu à un accident de moto, j’aimerai pas mourir dans une voiture des suites de mes blessures… » J’ai trop regardé de séries médicales je crois…